Side by side

2020

Sur une invitation de The left place, the right place, Reims.

« It was a good struggle, side by side »¸c’est avec ces mots que Razor aura conclu les deux mois passés par Jesse Wallace et son comparse Thomas Colinet à déplacer de la terre sur la propriété. Side by side est désormais un projet d’exposition qui prolonge un fragment de vie dans ces paysages vulnérables et la sédentarité précaire des personnes qui y habitent, à peine installées après le dernier cataclysme et toujours prêtes à fuir devant le prochain. 

De l’anticipation à la réalité brute, le travail de Jesse Wallace repose sur une porosité des mondes vécu et fantasmé et assume la position de l’artiste comme d’un truqueur dans ces différents décors. Il aborde les questions d’image à touche-touche avec celles de sculpture. Tandis qu’il cherche à extraire la photo de son format traditionnel et à la détacher du plan du mur, ses sculptures qu’il fabrique leur offrent un nouveau cadre capable de les contextualiser ou de les détourner. Tout en expérimentant dans ces deux médiums simultanément pour le récit de ses propres histoires, Jesse Wallace continue de faire déborder partout son espace de travail en invitant des éléments de l’atelier au sein de l’exposition. Ses oeuvres reprenant la forme de tréteaux disproportionnés et chancelant sous un poids trop lourd renvoient à l’idée d’un travail toujours en cours ainsi qu’à celle d’une structure trop fragile pour le projet qui l’attend. L’ouvrage est absent, mais le support, comme un personnage de comics, voit ses jambes flageoler d’appréhension ou de soulagement. 

Le grand lustre imite une installation de séchage de fleurs où des brassées de végétaux sont suspendues tête en bas à une structure en bambou. Ici, rien n’est plus naturel, les matériaux sont contrefaits et toute la scène semble être stoppée nette en pleine transformation, comme fossilisée par un cataclysme ancien ou pétrifiée par un phénomène en cours. L’image monumentale, présentée en rideau, présente une autre forme de végétation figée, un arbre patibulaire dont la silhouette contraste avec la géométrie des standards d’architecture. L’homme tente de maîtriser la nature, et au geste abrupt qui a tranché l’arbre par le milieu, l’artiste répond par une mise à distance méthodique de la scène. Les différentes couches de l’installation diffractent l’image en deux versions positif couleur et noir en blanc. 

Au mur, quatre sculptures en bois patiné accueillent des photographies d’habitations, des maisons californiennes, un vieil hôtel dans une ville de plantations et une bâtisse reconstruite à la hâte sur des terres brûlées par la lave. Les supports muraux, à la fois cadres en bois et armes archaïques, évoquent certains éléments des architectures visibles dans les images. La technique traditionnelle du cyanotype est doublée d’un jeu de construction et de lumière qui révèle ponctuellement la couleur originale du cliché et fait muer la nostalgie de l’image en une présence immédiate. Si l’installation totale est vaste, chacun des éléments semble être prêt à décrocher et à transporter. 

Jesse Wallace propose ainsi un régime particulier de l’art où la praticité de l’oeuvre serait jugée comme une qualité artistique. Que la catastrophe soit passée, en cours ou à venir, l’essentiel est de conserver avec soi de quoi continuer à faire en attendant des terrains et des jours meilleurs. 

Marilou Thiebault 

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